08 mai 2009

Les Oubliés de la République! 8 Mai 2008!




Aube Africaine

C’était l’aube. Le petit hameau qui avait dansé toute la moitié de la nuit au son des tam-tams s’éveillait peu à peu. Les bergers en loques et jouant de la flûte conduisaient les troupeaux dans la vallée. Les jeunes filles, armées de canaris, se suivaient à la queue leu leu sur le sentier tortueux de la fontaine. Dans la cour du marabout, un groupe d’enfants chantonnaient en chœur des versets du Coran.

(Musique de guitare)

C’était l’aube. Combat du jour et de la nuit. Mais celle-ci exténuée n’en pouvait plus, et, lentement expirait. Quelques rayons du soleil en signe avant-coureur de cette victoire du jour traînaient encore, timides et pâles, à l’horizon, les dernières étoiles doucement glissaient sous des tas de nuages, pareils aux flamboyants en fleurs.

(Musique de guitare)

C’était l’aube. Et là-bas au fond de la vaste plaine aux contours de pourpre, une silhouette d’homme courbé défrichait : silhouette de Naman, le cultivateur. A chaque coup de sa daba, les oiseaux effrayés s’envolaient et, à tire-d’aile, rejoignaient les rives paisibles du Djoliba, le grand fleuve Niger. Son pantalon de cotonnade grise, trempé de rosée, battait l’herbe sur les côtés. Il suait, infatigable, toujours courbé, maniant adroitement son outil : car il fallait que ses graines soient enfouies avant les prochaines pluies.

(Musique de cora)

C’était l’aube. Toujours l’aube. Les mange-mil, dans les feuillages virevoltaient, annonçant le jour. Sur la piste humide de la plaine, un enfant, portant en bandoulière son petit sac de flèches, courait essoufflé dans la direction de Naman. Il interpellait : « Frère Naman, le chef du hameau vous demande sous l’arbre à palabres ».

(Musique de cora)

Surpris d’une convocation aussi matinale, le cultivateur posa son outil et marcha vers le bourg qui maintenant radiait dans les lueurs du soleil naissant. Déjà, les Anciens, plus graves que jamais siégaient. A coté d’eux un homme en uniforme, un garde-cercle, impassible, fumait tranquillement sa pipe.

(Musique de cora)

Naman prit place sur une peau de mouton. Le griot du chef se leva pour transmettre à l’assemblée la volonté des Anciens : « Les Blancs ont envoyé un garde-cercle pour demander un homme du hameau qui ira à la guerre dans leur pays. Les notables, après délibération, ont décidé de désigner le jeune homme le plus représentatif de notre race afin qu’il aille prouver à la bataille des Blancs le courage qui a toujours caractérisé notre Manding ».

(Musique de guitare)

Naman, dont chaque soir les jeunes filles en couplets harmonieux louaient l’imposante stature et le développement apparent des muscles, fut d’office désigné. La douce Kadia, sa jeune femme, bouleversée par la nouvelle, cessa soudain de piler, rangea le mortier sous le grenier et, sans mot dire, s’enferma dans sa case pour pleurer son malheur en sanglots étouffés. La mort lui ayant ravi son premier mari, elle ne pouvait concevoir que les Blancs lui enlèvent Naman, celui en qui reposaient tous ses nouveaux espoirs.

(Musique de guitare)

Le lendemain, malgré ses larmes et ses plaintes, le son grave des tam-tams de guerre accompagna Naman au petit port du village où il s’embarqua sur un chaland à destination du chef-lieu de cercle. La nuit, au lieu de danser sur la place publique comme d’habitude, les jeunes filles vinrent veiller dans l’antichambre de Naman où elles contèrent jusqu’au matin autour d’un feu de bois.

(Musique de guitare)

Plusieurs mois s’écoulèrent sans qu’aucune nouvelle de Naman ne parvînt au bourg. La petite Kadia s’en inquiéta si bien qu’elle eut recours à l’expert féticheur du village voisin. Les Anciens eux-mêmes tinrent sur le sujet un bref conciliabule secret dont rien ne transpira.

(Musique de cora)

Un jour enfin arriva au village une lettre de Naman à l’adresse de Kadia. Celle-ci, soucieuse de la situation de son époux, se rendit la même nuit, après de pénibles heures de marche, au chef-lieu de cercle où un traducteur lut la missive.

Naman était en Afrique du Nord, en bonne santé et il demandait des nouvelles de la moisson, des fêtes de la mare, des danses, de l’arbre à palabres, du village …

(Balafong.)

Cette nuit, les commères accordèrent à la jeune Kadia la faveur d’assister, dans la cour de leur doyenne, à leurs palabres coutumières des soirs. Le chef du village, heureux de la nouvelle, offrit un grand festin à tous les mendiants des environs.

(Balafong.)

Plusieurs mois s’écoulèrent encore et tout le monde redevenait anxieux car on ne savait plus rien de Naman. Kadia envisageait d’aller de nouveau consulter le féticheur lorsqu’elle reçut une deuxième lettre. Naman, après la Corse et l’Italie, était maintenant en Allemagne et il se félicitait d’être décoré.

(Balafong.)

Une autre fois c’était une simple carte qui apprenait que Naman était fait prisonnier des Allemands. Cette nouvelle pesa sur le village de tout son poids. Les Anciens tinrent conseil et décidèrent que Naman était désormais autorisé à danser le Douga, cette danse sacrée du vautour, que nul ne danse sans avoir fait une action d’éclat, cette danse des empereurs malinkés dont chaque pas est une étape de l’histoire du Mali. Ce fut là une consolation pour Kadia de voir son mari élevé à la dignité des héros du pays.

(Musique de guitare)

Le temps passa… Deux années se suivirent… Naman était toujours en Allemagne. Il n’écrivait plus.

(Musique de guitare)

Un beau jour, le chef du village reçut de Dakar quelques mots qui annonçaient l’arrivée prochaine de Naman. Aussitôt, les tam-tams crépitèrent. On dansa et chanta jusqu’à l’aube. Les jeunes filles composèrent de nouveaux airs pour sa réception car les anciens qui lui étaient dédiés ne disaient rien du Douga, cette célèbre danse du Manding.

(Tam-tams)

Mais, un mois plus tard, caporal Moussa, un grand ami de Naman, adressa cette tragique lettre à Kadia : « C’était l’aube. Nous étions à Tiaroye-sur-Mer. Au cours d’une grande querelle qui nous opposait à nos chefs blancs de Dakar, une balle a trahi Naman. Il repose en terre sénégalaise. »

(Musique de guitare)

En effet, c’était l’aube. Les premiers rayons de soleil frôlant à peine la surface de la mer doraient ses petites vagues moutonnantes . au souffle de la brise, les palmiers, comme écœuré par ce combat matinal, inclinaient doucement leurs troncs vers l’océan. Les corbeaux, en bandes bruyantes, venaient annoncer aux environs, par leur croassement, la tragédie qui ensanglantait l’aube de Tiaroye… Et, dans l’azur incendié, juste au-dessus du cadavre de Naman, un gigantesque vautour planait lourdement. Il semblait lui dire : « Naman ! Tu n’as pas dansé cette danse qui porte mon nom. D’autres la danseront ».

FODEBA KEÏTA

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